Hong Kong – dans un monde qui avance

Aucun musée ni parc à thème, aucun manège de fêtes foraines ne pourront jamais offrir une expérience aussi trépidante qu’une plongée au cœur d’une foule de travailleurs Hongkongais en col blanc, à l’heure de pointe. 
Le hasard a voulu que je me trouve un matin de décembre aux alentours de Wan Chai, le saint des saints du monde des affaires à Hong Kong, avec ses banques aux noms anglo-saxons, ses gratte-ciel en verre et acier aux formes tarabiscotées. Ces mêmes tours qui ont donné son image de carte postale à l’ancienne colonie britannique. Métros, bus, tramways et ferries déversent à une cadence de métronome des bataillons de travailleurs tirés à quatre épingles, aux côtés desquels j’ai l’air d’un clochard tombé du ciel. Un entrelac de passerelles couvertes et surélevées court au-dessus des trottoirs, allant de rue en rue, traversant même les galeries marchandes pour ressortir au-dessus d’une autre rue. On dirait des trottoirs volants transportant le peuple des bureaux.
Aux passages pour piétons, arrêt total, comme si le mécanisme de la machine venait subitement de s’enrayer. Un son de crécelle accompagne les feux de circulation. Au vert, la musique s’accélère jusqu’à l’obsession, forçant les fourmis humaines à presser le pas. Ces passages-piétons militarisés résument à eux seuls la vie sur ce territoire, où tout doit aller vite, très vite. Tout le monde veut gagner des millions. 

Le dieu Dollar
8 h 58, je bute contre une interminable file de personnes à l’arrêt, alignées au cordeau devant l’immeuble historique de la banque HSBC ; deux lions en pierre en gardent l’entrée. À l’ouverture des portes, tous reprennent leur marche d’automates, le visage placide. 
Assis quelques instants sur un petit escalier au pied d’une tour, je remets un peu d’ordre dans mon matériel photo. Une femme à lunettes noires, masquée et badgée, me fait signe au loin de me lever. Son talkie-walkie lui confère un air très officiel. Si les bancs publics sont si rares, c’est qu’il est peut-être interdit de s’asseoir ; de quitter les rangs. Il est temps d’intégrer la discipline asiatique du trottoir.  
Ici et là, apparaissent quelques zestes de la Chine traditionnelle, comme cette mamie que l’on croirait en pyjama, marchant d’un pas lent avec un chapeau de paille sur la tête, ou ces échafaudages en bambou recouvrant la façade en travaux d’un immeuble high-tech. La tour du Lippo Centre, monstre de verre défiant le ciel est construite avec des cubes imbriqués les uns aux autres qui évoquent des koalas grimpant aux arbres. Un temple confucianiste coincé entre deux boutiques de luxe rappelle que la superstition est partout, reflet du multiculturalisme britannique. Toutes les religions du monde ont leur représentation à Hong Kong mais le cœur de la cité bat pour un seul monothéisme : le dieu Dollar ! Je suis d’ailleurs entouré de milliardaires. Hong Kong est la deuxième ville au monde après New York qui en compte le plus. 
J’ai emprunté le plus long escalateur en extérieur du monde. Cet ingénieux système d’escaliers mécaniques composé de vingt sections relie le quartier des affaires de Central et celui des collines escarpées de Mid-Levels. C’est un moyen de transport à lui seul, qui draine chaque jour des milliers de personnes sur une distance de 800 mètres. L’escalateur s’anime au lever du jour et conduit les matinaux qui descendent des quartiers les plus élevés vers le centre-ville. À 10 heures du matin, des mécaniciens viennent inverser ses rouages. Puis il repart, cette fois dans le sens de la remontée. 
Depuis sa mise en service en 1993, son tracé a établi une sorte de ligne de démarcation entre, à l’est, la ville internationale aux tours d’aluminium et de verre et, à l’ouest, le quartier chinois de Sheung Wan, grouillant de vie et d’arômes, avec ses petits marchés, ses marchands de fleurs, ses pharmacies aux potions magiques et l’odeur du poisson séché. 
En 20 minutes de ballade, pas le temps de s’ennuyer dans cet escalateur qui tient plus de l’omnibus que de l’ascenseur. De tous côtés, défilent les ruelles, les terrasses, les restaurants, mais aussi une mosquée centenaire et une église méthodiste. 

Prendre de la hauteur
Des bus et des tramways à impériale – autre héritage britannique – intégralement recouverts de publicités glissent dans les rues sous des néons criards. Partout où le regard porte, des panneaux publicitaires tentent de nous voler notre volonté, nous vendre un monde meilleur… La crise d’épilepsie guette. 
La journée de bureau commence, les trottoirs se font moins denses et la cadence des tramways s’atténue ; je reprends le cours de ma balade hongkongaise. 
Je croise des domestiques philippines promenant en poussette le bébé dont elles ont la charge. Quand ce n’est pas un enfant c’est un chien en laisse coiffé et décoré comme un sapin de Noël. 
Hong Kong a toujours été un Eldorado pour des milliers de Philippins. Le dimanche, les trottoirs suspendus leur servent traditionnellement de lieu de rencontres ou de retrouvailles. Ils s’y installent pour pique-niquer sur le sol entre amis, avec des cartons dépliés servant de petits enclos, faute de lieu plus arboré pour se retrouver. Je fais la connaissance de Rey, un Philippin d’une quarantaine d’années employé avec son épouse depuis deux ans dans une entreprise de nettoyage. Leurs deux jeunes enfants sont restés au pays. À l’instar de la péninsule arabe, les salaires sont bien plus élevés ici, mais le mal du pays ajouté aux difficiles conditions de travail offrent un avenir très incertain dans cette nouvelle terre d’accueil. La joie et les sourires qui animent cependant les Philippins donnent envie d’aller visiter leur pays. Trouver un peu de verdure a tout de l’utopie dans cette jungle en béton. 
Pour la chlorophylle et l’air un peu plus pur, mieux vaut prendre de la hauteur. Direction Victoria Peak, le point culminant de l’île. À Hong Kong on monte et on descend sans cesse… Et à chaque fois, un nouveau monde s’ouvre. La montagne, couverte de forêt subtropicale, domine la forêt de gratte-ciel. L’ancien confetti britannique, à cheval sur l’histoire comme sur la géographie, est à la fois une île, un archipel et une péninsule, le tout posé à l’extrême sud de la Chine. 
Un funiculaire conduit au sommet mais les jambes font le même travail sans avoir à débourser une somme astronomique. Après quelques montées en lacets à travers plusieurs bouquets d’immeubles, un passage devant le jardin zoologique où lémuriens et singes dansent de branche en branche, surgit la canopée et ses chants d’oiseaux. Au sommet, la vue embrasse tout l’horizon et la multitude d’îles formant l’archipel de Hong Kong, Kowloon et les Nouveaux Territoires, la partie rattachée au continent chinois. 

banyans centenaires 
Un ferry me conduit plus tard sur l’île de Lamma située à une demi-heure de Hong Kong. Des sentiers offrent l’occasion de sillonner à pied cette terre émergée interdite aux voitures, et d’oublier la frénésie de la ville le temps d’une errance bucolique. 
Je relie en quelques heures de marche les petits ports de pêche Yung Shue Wan et Sok Kwu Wan. Le sentier longe des plages de sable fin, quelques villages où le poisson sèche au soleil, attestant que la tradition est encore bien vivante. Un vieux temple bouddhiste exhale ses bonnes odeurs d’encens.
Mais le lieu n’a pas toujours été ce havre de paix. Peu avant le village de Sok Kwu Wan, j’aperçois en bordure du sentier forestier, où viennent mourir les vagues, la grotte des kamikazes. Durant l’occupation japonaise de 1941 à 45, des bateaux étaient cachés dans cette profonde cavité rocheuse pour servir à des kamikazes lors de leurs attaques contre les navires alliés.   
Retour dans la jungle urbaine où il est fréquent d’apercevoir sur les trottoirs de majestueux banyans centenaires. La vie locale semble s’être organisée tout autour. Arbre sacré dans nombre de pays d’Asie, le banyan aime étendre ses racines… Au cœur de Hong Kong, sur chaque encoignure de rocher, à chaque mètre abandonné, les racines des arbres s’étirent à la verticale le long des murs. La végétation subtropicale prend ses aises au pied des immeubles en verre. Imperturbable, elle semble murmurer aux humains affairés : « Ô temps, suspends ton vol…» 

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